Habiba El Mazouni : Entre science politique, communication et musique – un parcours au croisement du cœur et de la raison

📌Pouvez-vous vous présenter ?
Cette question – « Présentez-vous » – me paraît toujours un peu vertigineuse. Non pas par pudeur, mais parce que cela revient à mettre des mots sur ce que l’on est, alors même que nous sommes faits de mouvements, de transitions, d’attachements et de devenirs. On ne se présente jamais sans, quelque part, se raconter un peu.
Habiba El Mazouni, j’ai 31 ans. Je suis une maman de deux enfants, ce qui, au-delà de la tendresse qu’implique ce rôle, constitue un apprentissage quotidien du don de soi et de l’attention à l’autre. Docteure en sociologie politique, je m’intéresse depuis toujours aux formes contemporaines du pouvoir et aux différents arts de gouverner.
Depuis plus de huit ans, j’exerce dans les domaines de la communication, de l’édition et des métiers de l’information, espaces où se croisent rigueur intellectuelle, soin du détail et souci de transmission. Mais je ne vis pas que dans les livres ou les mots : la musique m’habite profondément. Je suis engagée dans des associations de Tarab et de musique classique, parce que je crois à la puissance de l’art pour dire ce que les discours ne peuvent pas toujours formuler ; une émotion, une mémoire, un soupir.
Je me reconnais donc dans les chemins qui ne séparent pas le travail de la vie, ni la pensée du cœur. Mon parcours est celui d’une femme profondément convaincue que chaque chose faite avec passion, justesse et sincérité peut toucher, relier, transformer.
📌Comment avez-vous construit votre carrière ?
Si je devais résumer ma carrière, je dirais qu’elle est le fruit d’un tissage entre savoir, engagement, sensibilité et volonté de faire sens. Il y a eu des choix, bien sûr – réfléchis, assumés – mais aussi des hasards, des intuitions, et surtout des parents qui ont allégé le poids des choses et rendu possible l’exercice de me construire, à mon rythme.
📌Pourquoi avoir choisi ce domaine ?
Vous savez, que ce soit la communication ou les sciences politiques, les deux s’entrelacent dans une seule et même trajectoire : la mienne. Une trajectoire ancrée, sensible, et profondément habitée par le souci de l’autre. J’ai besoin, dans ma vie comme dans mon travail, de concret, de relations vraies, de sens. Et c’est précisément ce que m’offre la communication : faire circuler la parole, rendre accessible, créer du lien.
La sociologie politique, quant à elle, s’est imposée plus doucement, comme une évidence née de mon parcours en sciences politiques et en relations internationales. Au fil du temps, une question a commencé à me traverser avec insistance : que perçoivent, que retiennent, que vivent réellement celles et ceux à qui sont destinées les politiques publiques ? J’ai ressenti le besoin de quitter les hauteurs abstraites pour me rapprocher du terrain, du vécu, de cette réalité humaine que les chiffres ne capturent pas toujours. Comprendre le pouvoir, oui mais depuis ceux qui en vivent les effets.
📌Quels sont vos projets et ambitions pour l’avenir ?
Je ne peux pas mesurer mes ambitions en titres ou en positions, mais plutôt en traces laissées – je l’espère en tout cas – dans la vie des autres. Mon premier souhait est de donner à mes enfants les meilleurs grains possibles : des valeurs solides, une curiosité vivante, une conscience claire. Je les accompagne avec l’espoir qu’un jour, ils sèmeront à leur tour, dans des terres fertiles, et qu’ils trouveront leur juste place pour grandir, s’épanouir et contribuer, à leur manière, à leur pays.
Parallèlement, j’aspire à m’investir plus pleinement dans la transmission. J’ai envie de me consacrer davantage à cet exercice exigeant mais profondément humain qu’est celui de transmettre à la nouvelle génération, de partager ce que l’on sait, ce que l’on est, et d’ouvrir des chemins à d’autres.
📌Y a-t-il un moment ou un événement qui a marqué un tournant dans votre vie ?
Il y a eu un tournant décisif dans ma vie : mon travail en tant que consultante dans un cabinet de conseil à Rabat. Cette expérience m’a appris, de manière presque intime, que tout part du cœur et que tout revient au cœur. Que la nya, cette intention sincère, fait toute la différence, même dans le monde professionnel.
Là-bas, j’ai rencontré une équipe qui y croyait profondément, des personnes pour qui le lien humain n’était pas un supplément d’âme, mais le fondement même du travail. J’ai découvert ce que peut être une vraie “famille professionnelle” ; un espace où l’on se sent reconnu, porté, encouragé.
Ces personnes ont vu en moi des forces que je n’osais pas toujours nommer. Ils ont su faire émerger ce que j’avais de plus solide en moi. C’est là où j’ai compris que le travail peut aussi être un lieu d’élévation personnelle, quand il est habité par la confiance et la bienveillance.
📌Quel conseil donneriez-vous aux femmes qui souhaitent réussir
Je leur dirais de croire profondément en elles-mêmes. Leur place est légitime, partout où elles choisissent de se tenir. Certes, certains passages sont éprouvants (la fatigue, les responsabilités multiples, la perplexité, etc.) et c’est d’ailleurs une réalité partagée par beaucoup, mais ces épreuves ne durent pas. Elles ne nous arrêtent pas. Elles nous façonnent. Et il n’y a pas une seule manière de réussir : il y a autant de chemins qu’il y a de femmes. L’essentiel est d’avancer avec confiance, avec cœur, de s’écouter et surtout de se rappeler qu’on n’a pas à tout faire seule : demander de l’aide, ralentir parfois, et s’autoriser l’imperfection font aussi partie du chemin.
📌Comment percevez-vous la place de la femme dans votre domaine et dans votre pays ?
La femme occupe une grande place dans mon domaine et dans notre pays, et ce à juste titre. Par contre, chaque femme devrait s’affirmer et réussir à sa manière, en restant fidèle à sa sensibilité et à ses qualités propres. Par exemple, un poste à haute responsabilité peut exiger beaucoup de réflexion, mais cela ne doit pas conduire à effacer notre émotion ou notre sensibilité. Au contraire, c’est souvent cette finesse d’analyse, cette capacité à allier raison et émotion, qui permet à une femme d’exceller et d’apporter une vision singulière.
Aujourd’hui, les femmes occupent plusieurs rôles avec soin, rigueur et délicatesse. Elles brillent partout où elles sont, en faisant preuve d’une excellence reconnue et précieuse.
📌Que pensez-vous du site ?
C’est une belle initiative, que je salue vivement. Dans une culture qui manque parfois de reconnaissance et de gratitude, surtout sur le plan professionnel, un site comme celui-ci vient combler un véritable vide. Il donne de la visibilité à la voix des femmes et à leurs réalisations, ce qui est essentiel. On ne peut que s’en réjouir et espérer voir fleurir davantage d’espaces de ce type, qui valorisent les parcours, les engagements et les talents féminins.
📌Un dernier message à partager avec notre audience ?
J’aimerais dire que cette course effrénée contre le temps, à laquelle nous sommes tous soumis aujourd’hui, nous éloigne souvent de l’essentiel. Elle nous prive de ces moments précieux où l’on pourrait simplement s’arrêter pour méditer le sens des choses, renouer avec le sacré, et nous réconcilier avec nos traditions. Il est peut-être temps de sortir du culte du “moi”, d’arrêter de vivre uniquement pour soi, et de penser davantage à ce que nos actes laissent derrière nous et à leur impact sur les autres. Il faut aussi freiner cette obsession du matériel, qui finit par nous épuiser et nous vider de l’intérieur. Et plutôt que de courir après l’extérieur, apprenons à accueillir, nourrir et apaiser ce qui vit en nous ; c’est dans ce silence intérieur que l’âme retrouve sa véritable lumière.
Entretien réalisé par Aziz HARCHA
Juillet 2025
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