Wided Hammami, un parcours audacieux, de l’IHEC à la facilitation créative

📌Pouvez-vous vous présenter ?
Wided Hammami. C’est une question difficile, car elle oblige à choisir : dois-je répondre comme tout le monde, en citant métier et expertise, ou rester fidèle à ma vision de l’identité — plus holistique, plus vivante, parfois déconcertante ?
Je suis une femme, une maman, une personne passionnée. Jeune, je partageais mon temps entre les équations et les mots : férue de mathématiques, mais aussi de lecture et d’écriture. La photographie et le théâtre m’ont ensuite ouvert d’autres types de langages et de perceptions.
Pendant mes études à l’IHEC, j’ai suivi les cours du soir de littérature à la Sorbonne et participé à des ateliers d’écriture. En 1997, diplôme en poche, j’ai démarré comme responsable communication dans les assurances.
Aujourd’hui, je suis facilitatrice en communication et en pensée critique et créative.
Vingt-huit années se sont écoulées depuis ce premier poste. Trop d’étapes pour toutes les raconter ici. Mais s’il faut en garder l’essence : exploration, apprentissages, rencontres.
📌Comment avez-vous construit votre carrière ?
Permettez-moi encore une fois de ne pas être d’accord avec votre question.
Personne ne construit vraiment sa carrière de bout en bout — et je ne peux pas prétendre avoir construit la mienne.
Elle a commencé, en vérité, par une suite de contrariétés : je ne voulais pas faire HEC, et je ne voulais pas travailler tout de suite après mon diplôme. Les circonstances m’ont poussée, j’ai dû faire des choix.
Mais en 2016, j’ai pris une décision radicale : changer de métier et quitter le salariat.
C’est là qu’a vraiment commencé mon aventure — exigeante, pleine de doutes, d’apprentissages et de rencontres.
J’y ai découvert ma vocation de formatrice… avant d’avoir un vrai coup de cœur pour le métier de facilitatrice.
Depuis, je me fais un plaisir subtil de créer, de transmettre, d’apprendre avec les autres dans des espaces qui me ressemblent : authentiques, vibrants et profondément transformateurs.
📌Pourquoi avoir choisi ce domaine ?
Le domaine de la facilitation en communication et en pensée critique et créative m’a attirée parce qu’il touche à des compétences transversales, profondément humaines, et s’adresse à une grande diversité de profils. Cela m’a permis de rencontrer, au fil des années, des centaines de personnes issues de cultures, de milieux et de systèmes de croyances très variés.
Mon travail ne consiste pas seulement à transmettre un savoir-faire : il vise à enclencher une réflexion, à provoquer un déplacement, parfois infime, mais toujours porteur d’une nouvelle façon de se percevoir et de percevoir le monde.
Avec le temps, j’ai compris que ce domaine faisait écho à des valeurs déjà bien ancrées en moi : l’ouverture à l’autre, le dialogue, la co-construction et la liberté d’être soi, sans nier celle de l’autre.
Dans chaque atelier, j’ai souvent eu l’impression de marcher sur des coquilles d’œufs. J’apprends à en prendre soin, à les laisser se fissurer sans brutalité. Et peu à peu, l’éclosion se fait. En douceur. Naturellement.
Chaque atelier est aussi une révélation : de ce que j’ignore encore de moi, de ce que j’ignore encore de l’autre. Une chose demeure constante : la joie profonde de penser, de créer ensemble, et de tisser des liens solides, parfois indéfectibles.
📌Quels sont vos projets et ambitions pour l’avenir ?
Introduire la pensée critique et créative dans le parcours académique dès l’école primaire. Voilà mon cap, mon moteur, ce pour quoi je me lève chaque matin. Un projet vaste, complexe, nécessairement collectif — mais j’ai le souffle long et une volonté que rien n’érode.
Depuis 2019, je façonne patiemment une méthodologie, je tisse des contenus, j’ouvre des chemins. Grâce à mes liens avec le monde associatif, j’ai eu la chance de tester mon approche auprès d’élèves, d’étudiants, et même de tout-petits. Et leurs retours sont ma plus belle récompense.
Ils disent avoir goûté à la liberté de s’exprimer sans crainte, à la joie de dialoguer sans être interrompus, à l’étonnement d’être écoutés vraiment. Ils parlent de batailles d’arguments, d’univers imaginaires créés à plusieurs voix, de la magie d’un espace où penser ensemble devient un jeu, un art, une fête.
Ces voix-là, leurs mots, leurs yeux brillants me portent. Ils me rappellent que ce combat-là vaut d’être mené — même quand le monde semble sourd, même quand les obstacles s’accumulent. Parce que penser, ensemble, dès l’enfance, c’est peut-être le plus bel acte de résistance douce que nous puissions offrir pour leur avenir.
📌Y a-t-il un moment ou un événement qui a marqué un tournant dans votre vie ?
On dit souvent que la vie n’est pas un long fleuve tranquille. Je ne suis pas tout à fait d’accord. Si l’on prend le temps d’écouter les récits de vie, on y décèle souvent une trame familière, presque douce : des habitudes, des rôles, des saisons qui passent. En réalité, la vie est bien ce fleuve tranquille… ponctué de bourrasques. Certaines soudaines, d’autres insidieuses. Certaines choisies, d’autres subies.
Des tournants, j’en ai connus. Mais si je dois en retenir un, dans le cadre professionnel, ce serait ma rencontre avec la philosophie. Ce jour-là, quelque chose s’est réveillé. Les questions que je posais enfant, que j’avais remisées pour « devenir adulte », sont revenues frapper à la porte. Et j’ai ouvert.
J’ai commencé à douter. À douter vraiment. De ce que je croyais acquis, évident, normal. Ce doute, loin de m’effrayer, m’a initiée à un nouveau rapport au monde : plus lent, plus profond, plus curieux. Ce fut le début d’une traversée. Une traversée encore en cours, qui m’apprend à chaque étape à penser autrement, à écouter mieux, à questionner toujours.
📌Quel conseil donneriez-vous aux femmes qui souhaitent réussir
À vrai dire, je ne suis pas très douée pour donner des conseils. Mais je vais tout de même me prêter à l’exercice, avec humilité.
D’abord, gardez toujours en ligne de mire ce qui compte vraiment pour vous — the big picture, comme disent les Américains.
Ensuite, ne ménagez pas vos efforts. Les miracles ne sont pas de ce monde, mais la persévérance, elle, déplace les lignes.
Et puis, surtout : soyez vraies. N’ayez pas peur d’être pleinement vous-mêmes. C’est là que réside votre force — et votre pouvoir d’inspirer les autres.
📌Comment percevez-vous la place de la femme dans votre domaine et dans votre pays ?
La femme en Tunisie a toujours occupé une place singulière, forte et active dans la société. Présente dans tous les combats, elle a su faire entendre sa voix et démontrer, à chaque étape de notre histoire, sa compétence, sa résilience et sa vision. Grâce à son engagement, ses droits fondamentaux ne sont plus sujets à négociation. C’est un acquis précieux — un état de fait — dont je suis fière, et que je défendrai de toutes mes forces.
Dans mon domaine professionnel, celui de la facilitation, de la formation et du conseil, les femmes commencent à gagner du terrain. De plus en plus, elles dirigent des cabinets de renom, animent des ateliers, innovent, transmettent, transforment.
Le défi, à mes yeux, est de continuer à nous affirmer avec force sans renier ce qui nous constitue profondément : notre culture, notre sensibilité, notre manière singulière de dialoguer avec le monde.
📌Que pensez-vous du site ?
Ce que j’apprécie dans ce site, c’est sa capacité à offrir une palette riche et nuancée du féminin, grâce à la diversité de ses rubriques. On y découvre des histoires inspirantes, des parcours singuliers, des voix multiples qui dessinent un kaléidoscope vivant de ce que signifie être femme aujourd’hui.
Je le perçois comme une plateforme à la fois riche et utile — un espace où l’on s’informe, mais surtout, où l’on se reconnaît et où l’on apprend des autres.
📌Un dernier message à partager avec notre audience ?
Je prends ce mot de fin comme le commencement de quelque chose. Restons à l’écoute de ce qui résonne au plus profond de nous, et faisons en sorte que cela résonne autour de nous… et bien au-delà.
Entretien réalisé par Aziz HARCHA
Mai 2025
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