Imane Dahou : « La cybersécurité est le prisme à travers lequel se redessine l’ordre mondial »

📌Bonjour, pouvez-vous vous présenter ?
Je m’appelle Imane Dahou et mon travail consiste à accompagner les organisations dans l’élaboration de leur stratégie de sécurité et dans le renforcement de leur posture de résilience. Mon expertise de la cybersécurité s’ancre dans une compréhension profonde des dynamiques géopolitiques, des stratégies de puissance et des enjeux technologiques et réglementaires. C’est d’ailleurs à travers ce prisme élargi et cette approche transversale que j’accompagne mes clients.
Je suis par ailleurs enseignante, conférencière et auditrice civile à L’Ecole de Guerre-Terre. J’interviens à la croisée des sphères institutionnelles et privées, entre l’Europe et l’Afrique, avec l’ambition d’élever les consciences et d’évangéliser au risque systémique que représente la cybersécurité.
📌Comment avez-vous construit votre carrière ?
Ma carrière s’est construite à la lisière des disciplines.
J’ai débuté dans l’industrie des énergies renouvelables en tant qu’analyste de risques pour la construction de barrages, de fermes éoliennes, de fermes solaires et géothermiques. J’ai appris à évaluer les vulnérabilités et à concevoir des stratégies de résilience face aux crises. Cette première immersion dans la gestion des risques m’a rapidement conduite vers un environnement plus institutionnel, où j’ai eu l’opportunité d’élaborer des pressions médiatiques simulées, de concevoir et de réaliser des exercices de crise pour des gouvernements et des opérateurs d’importance vitale.
Puis je me suis formée à la cybersécurité en rejoignant les plus grands cabinets de conseil. J’ai pu intervenir sur plusieurs géographies et développer une connaissance fine des écosystèmes européens, mais également africains, où j’ai mené de nombreux audits et missions stratégiques.
Parallèlement à mon activité professionnelle, je suis restée ancrée dans le monde académique. J’enseigne à l’université, je mets un point d’honneur à rester au contact des jeunes et je continue à me former sur des sujets variés, convaincue que la connaissance ne peut être figée.
Si mon parcours intrigue, c’est précisément parce que ma singularité fait ma force. En m’affranchissant des cadres classiques, j’ai construit une expertise qui fait dialoguer cybersécurité, géopolitique, intelligence économique et résilience organisationnelle.
📌Pourquoi avoir choisi ce domaine ?
J’ai choisi la cybersécurité parce qu’elle est devenue le prisme à travers lequel se redessine l’ordre mondial. Dans un monde post-westphalien, les frontières ne suffisent plus à garantir la souveraineté des États. Le cyberespace est désormais un terrain de confrontation permanent, où s’entrelacent rivalités géopolitiques, compétitivité économique et préservation de la confiance collective.
C’est aussi le théâtre d’une diplomatie nouvelle où les failles technologiques sont devenues des leviers d’influence, les attaques, des instruments de déstabilisation, et les avancées, des enjeux de pouvoir.
M’engager dans cette voie, c’était choisir d’être au cœur de cette transformation et d’accompagner les États et les organisations dans la construction d’un avenir numérique résilient et souverain. Car au-delà de la menace, il y a aussi un défi collectif, celui de bâtir un cyberespace où la sécurité serait un levier de puissance, d’innovation et de stabilité.
📌Quels sont vos projets et ambitions pour l’avenir ?
La cybersécurité étant une discipline vivante et en perpétuelle mutation, je souhaite d’abord, rester au contact du terrain, en continuant d’accompagner les organisations internationales à travers le monde.
Ensuite, je mets un point d’honneur à agir sur le cadre institutionnel et politique. L’Afrique, en particulier, doit s’affranchir de son statut de simple marché du numérique pour s’imposer comme un acteur central de son propre développement technologique. Pour ce faire, il faudra élaborer des réglementations adaptées et poser les bases d’un leadership numérique africain.
Enfin, former et transmettre. Pour relever ces défis, nous avons besoin d’une nouvelle génération de talents, d’experts et de décideurs capables de penser ces enjeux dans toute leur complexité. La cybersécurité, l’intelligence artificielle et la gouvernance du numérique ne doivent plus être réservées à une élite technologique, elles doivent devenir des grilles de lecture fondamentales pour comprendre le monde contemporain. C’est pourquoi je poursuivrai mon engagement dans l’enseignement, la formation et le mentorat, afin de donner aux futurs leaders les outils pour anticiper, innover et protéger.
📌Y a-t-il un moment ou un événement qui a marqué un tournant dans votre vie ?
La vie n’est pas faite d’un seul tournant décisif, mais d’une succession de moments où l’on choisit de sortir du cadre, de dépasser ce qui est attendu et d’imposer sa propre trajectoire. Ces instants ne sont pas toujours spectaculaires, mais ils nous façonnent, ils esquissent notre leadership et nous placent en position d’acteurs du changement plutôt que de simples observateurs.
L’un de ces moments fondateurs s’est imposé lors de mes premières missions en Afrique, durant lesquelles j’ai mesuré les écarts technologiques, mais aussi l’immensité des opportunités qu’offre le continent. J’ai compris que la souveraineté numérique ne pouvait plus être pensée à l’échelle d’un seul pays, mais devait s’inscrire dans une dynamique collective, où chaque nation a le pouvoir et la responsabilité de façonner son propre destin technologique.
📌Quel conseil donneriez-vous aux femmes qui souhaitent réussir
Ne demandez pas la permission, prenez votre place !
Oubliez l’idée selon laquelle le travail seul suffira à vous faire reconnaître. Certes, le talent est essentiel, mais sans audace ni persévérance, il ne vous mènera pas bien loin. N’attendez pas d’être parfaitement prêtes pour parler, pour agir, pour postuler. Faites entendre votre voix, affirmez votre expertise et imposez votre présence. L’ambition n’a pas à être justifiée, elle doit être assumée, sans compromis et sans fausse modestie.
Entourez-vous bien car le succès ne se construit pas seul. Trouvez des alliés, des mentors, des personnes qui vous élèvent et vous poussent plus loin. Et surtout, devenez à votre tour une alliée pour celles qui suivront.
Acceptez d’être inconfortable car dans votre ascension, vous ferez face au doute, aux résistances et aux critiques. Et ce sont précisément ces moments qui forgent la détermination.
📌Comment percevez-vous la place de la femme dans votre domaine et dans votre pays ?
La pénurie de talents en cybersécurité est une réalité mondiale, et pourtant nous continuons d’exclure, consciemment ou non, une partie significative des forces vives qui pourraient y contribuer. Sans les femmes, sans leur expertise, sans leur leadership, nos capacités à anticiper les menaces, à innover et à renforcer la résilience numérique restent limitées.
En France, les chiffres sont sans appel : seulement 16 % des effectifs de la cybersécurité sont des femmes. Un pourcentage bien trop faible pour un domaine qui exige une pluralité de regards et une approche globale des risques. Malgré des initiatives visant à encourager la mixité, les barrières culturelles et systémiques freinent encore trop de talents féminins.
Le Maroc quant à lui, présente un paradoxe intéressant. Le pays forme autant d’hommes que de femmes ingénieurs, un équilibre rare dans le paysage international. Pourtant, dans la cybersécurité, la présence féminine reste marginale. Ce constat met en évidence que l’accès seul ne suffit pas, et qu’il faut aussi créer l’attrait, lever les freins et proposer des perspectives de carrière ambitieuses.
📌Que pensez-vous du site ?
Le Monde Féminin joue un rôle essentiel dans la valorisation des parcours et la normalisation de l’ambition féminine. Les récits qu’il porte inspirent, questionnent et ouvrent la voie à celles qui hésitent encore à prendre leur place.
📌Un dernier message à partager avec notre audience ?
Le progrès ne doit pas être segmenté et l’avenir du numérique ne sera durable que s’il est inclusif dans toutes ses dimensions. Former les jeunes est une nécessité, encourager les femmes à investir ce domaine est un impératif. Mais ce serait une erreur de penser que l’avenir ne se construit qu’avec la nouvelle génération.
La transformation numérique ne doit pas être un processus brutal qui laisse certains sur le bord du chemin. Nos talents les plus expérimentés et nos seniors ne doivent pas être perçus comme des spectateurs du progrès. Il s’agit donc, pour chacun d’entre-nous, de prendre part à cet effort collectif d’évangélisation.
Entretien réalisé par Aziz HARCHA
Mars 2025